L’art moderne japonais, avec ses expérimentations audacieuses et ses dialogues incessants entre tradition et avant-garde, a exercé une influence considérable sur l’art coréen, particulièrement dans les décennies suivant la guerre de Corée. Alors que le Japon et la Corée avaient des trajectoires historiques distinctes, notamment en raison de l’occupation japonaise de la Corée de 1910 à 1945, les deux pays ont partagé une quête commune de réinvention artistique après la Seconde Guerre mondiale, et les échanges entre leurs avant-gardes se sont intensifiés au fil du temps.
La Transition vers l’Art Moderne au Japon et ses Répercussions
Dans le Japon d’après-guerre, un souffle de renouveau artistique a été impulsé par le mouvement d’avant-garde, notamment avec des figures comme Yayoi Kusama, Tetsumi Kudo ou Isamu Noguchi, qui ont exploré des formes expérimentales, de la sculpture à la peinture, en passant par les installations. Après la guerre, le Japon se tournait vers une modernité qui transgressait les conventions artistiques traditionnelles. Le mouvement Gutai, actif dans les années 1950, par exemple, prônait une libération totale de la forme et du médium, engageant l’artiste dans une exploration radicale de la matière et du geste. Ces artistes japonais ont également été influencés par l’expressionnisme abstrait américain, tout en conservant un lien avec des éléments de la culture japonaise traditionnelle, créant ainsi un art hybride entre modernité et héritage.

L’influence de ces courants avant-gardistes s’est vite propagée en Corée, où l’art moderne était en plein essor après la guerre. La Corée, sortie des horreurs de la guerre civile (1950-1953), cherchait à se reconstruire, tant physiquement que culturellement. Les artistes coréens étaient alors confrontés à une double tâche : se libérer des influences occidentales et américaines, et en même temps, renouveler l’héritage traditionnel coréen dans un contexte globalisé. C’est dans ce cadre que les tendances japonaises, avec leur exploration du geste, de la matière et de la forme, ont trouvé un écho profond.
L’Art Coréen dans les Années 1960-1980 : La Rencontre de l’Avant-Garde et de la Tradition
Dans les années 1960 et 1970, un groupe d’artistes coréens influencés par les courants japonais a commencé à expérimenter de nouvelles formes d’expression. Parmi eux, le mouvement Dansaekwa (ou Dansaekhwa), qui a vu le jour dans les années 1970, a joué un rôle majeur. Les artistes de ce mouvement, comme Park Seo-Bo, Lee Ufan et Kim Whanki, se sont inspirés du minimalisme et de l’abstraction présents dans l’art japonais, tout en y ajoutant des influences traditionnelles coréennes. En particulier, Lee Ufan, qui a passé un temps considérable au Japon, a porté l’art minimaliste et l’usage de la peinture monochrome à un niveau de profondeur philosophique et esthétique unique, en faisant appel à des concepts bouddhistes et taoïstes de simplicité et de méditation.
Le mouvement Dansaekwa s’est développé dans une atmosphère marquée par le désir de distiller l’essence de l’art, de la matière, et de l’espace. L’utilisation du blanc et du noir, l’accent mis sur le geste et la texture, et la simplification des formes trouvent une résonance directe avec les recherches menées par les artistes japonais d’avant-garde, notamment ceux du Gutai et du mouvement Mono-ha, qui privilégiaient les matériaux bruts et l’élément naturel dans leur création.
Les Années 1990 à Aujourd’hui : Un Art Coréen Pluraliste et Mondialisé
À partir des années 1990, l’art coréen se caractérise par un pluralisme croissant, avec une nouvelle génération d’artistes qui s’inspirent des mouvements contemporains mondiaux, mais aussi des leçons de l’art japonais. L’essor de l’art vidéo, de l’art conceptuel et des installations multimédia a permis aux artistes coréens de repousser encore davantage les limites de la création. L’influence japonaise se manifeste notamment dans l’acceptation de la matérialité brute et des installations immersives. Des artistes comme Do Ho Suh ou Lee Bul, tout en étant ancrés dans des préoccupations identitaires coréennes, puisent également dans la philosophie esthétique japonaise, notamment la notion de wabi-sabi (l’esthétique de l’impermanence et de la beauté de l’imparfait), pour aborder des questions universelles telles que l’exil, la mémoire et la transgression des frontières.

Aujourd’hui, l’art coréen est reconnu internationalement, et l’influence japonaise reste présente dans la manière dont les artistes abordent la transformation de la matière et de l’espace. Bien que la scène artistique coréenne se soit diversifiée et enrichie au contact d’autres cultures et mouvements, la quête japonaise de l’authenticité, de la simplicité et de l’expérimentation continue de nourrir l’imaginaire de nombreux artistes coréens, en particulier dans les pratiques de l’art conceptuel et minimaliste.
Le dialogue entre l’art moderne japonais et l’art coréen des décennies d’après-guerre a façonné une partie essentielle de l’évolution de la scène artistique en Corée. Tandis que le Japon offrait une base avant-gardiste de radicalité, de simplicité et d’expérimentation, la Corée a pris ces influences et les a réinterprétées à travers son propre prisme culturel, qu’il soit traditionnel ou contemporain. L’impact de cette relation est encore visible dans les œuvres d’artistes coréens actuels, où l’héritage japonais continue de jouer un rôle clé dans les pratiques artistiques les plus innovantes.